Les Amis Discrets

Compte rendu d'une conférence donnée au Musée archéologique de Nivelles en 1972

 

 

Les Amis Discrets est  le nom de la première loge maçonnique du Brabant wallon installée à Nivelles en 1807, sous le règne de Napoléon Ier, empereur. Elle est dirigée par deux hommes intelligents et actifs : Philippe Casimir Marchot, né en 1767 à Thuin et Adrien Mengal, violemment anticlérical.

 

Marchot était issu d'une famille de la "Basoche", maniait habilement la plume, était devenu, à Mons, secrétaire de Lamots et chef de bureau de l'Administration provincial. Il fut magistrat du Ministère Public, puis procureur impérial à Nivelles, et enfin, avocat. En 1807, il était devenu franc-maçon à la Loge de L'Espérance à Bruxelles, et c'est le 23 août 1807 qu'il crée Les Amis Discrets à Nivelles, après avoir réuni autour de lui Mengal susnommé, Joseph Dept, greffier au Tribunal de Nivelles, Joseph Chapelle, négociant (dont certains descendant vivent toujours à Nivelles) et Michel Vanderstraeten.

 

Cela ne faisait que cinq membres, et le minimum requis était de sept. Marchot en "repêcha" deux à Bruxelles, à L'Espérance : Dangonnau (dont une rue nivelloise porte le nom), négociant et maire de Nivelles, quoique résidant à Baulers, venu des Amis Philanthropiques, et Joseph Cressoux, né à La Rochelle, de même obédience, et vénérable, vinrent grossir la société nivelloise qui avait son local provisoire rue de Namur au numéro 170.

 

Il est plus que probable qu'à l'époque, le N° 170 était l'important et vaste immeuble qu'occupait, au début du 20e siècle et jusqu'à la guerre 40-45, la famille Bulckens qui y exploitait une brasserie, à l'angle de la rue Lagasse, et qui s'étendait jusqu'à l'ancienne propriété des Ets Gondry qui la tenait depuis 1927 de M. Camille Bernard (carrelages) qui l'avait lui-même acquise en 1921 de la famille Bulkens.

 

Quoi qu'il en soit, Les Amis Discrets se firent parrainer par quatre ateliers bruxellois dont L'Espérance. C'est le 27 septembre 1807 que les Nivellois s'installèrent dans leur local définitif au numéro 8 de la rue Gillard Heppe qu'a occupée plus tard M. Emile de Lalieux (cousin du bourgmestre). Soit dit en passant, cette grosse maison, occupée par les Allemands pendant la guerre 40-45, et qui leur servait de bureaux et de dépôt, fut incendiée par la Résistance, et fortement endommagée. Le plafonnage qui était tombé laissa apparaître sur le mur de façade certains insignes maçonniques qui furent – malheureusement pour l'histoire – recouverts lors de la reconstruction de l'immeuble.

 

Toujours est-il que, sous ces parrainages datant d'octobre 1807, la Loge nivelloise obtient son propre sceau, admis par le Grand Orient qui lui décerne, le 3 mai 1808, l'acte original de sa création suite à une demande nivelloise du 19 novembre 1807. La Loge grandit assez rapidement et, au 14 août 1808, elle compte 16 membres dont seulement 3 Nivellois et 3 Français, demeurés ici en séjour, soit comme fonctionnaires, soit comme militaires, car nous étions alors français du département de la Dyle.

 

Le local de la rue Gillard Heppe était gardé par un concierge, M. Joseph Jamart, tisserand et Nivellois.

 

La société était toujours présidée par son fondateur, Marchot qui, lors de l'installation officielle, y alla d'un discours enthousiaste et souvent lyrique, comme ceux des témoins et parrains, où il était grandement question de la gloire du Grand Architecte de l'Univers. En 1810, les membres sont au nombre de 42 qui restera le maximum de cet atelier, tous des gens "bien" comme on dirait aujourd'hui. Au reste, il fallait avoir pignon sur rue. Le montant de la cotisation était, pour l'époque, fort élevé, et fermait certainement l'accès au menu fretin. On y relevait 15 fonctionnaires de haut rang, 15 gros commerçants, des rentiers, de militaires, tous demeurant à Nivelles et, parmi eux, un nommé Deghilenghien, un Brouvet etc.

 

En 1809, les Nivellois tournent leur regard vers le Pays Noir, Charleroi. Marchot, Dangonau et d'autres notables, contactent leurs homologues de Charleroi et leur donnent toutes indications nécessaires pour la création d'une Loge, la première, qui n'eut qu'une vie éphémère et qui périclité rapidement. Mais elle renaîtra un peu plus tard en regroupant la plupart des industriels de la région, des notables, rentiers, avocats, magistrats etc. avec l'assistance de Loges Hennuyères dont celles de Mons, Tournai, Thuin, Boussu etc.

 

C'est en 1810 que Les Amis Discrets arrêtent leurs statuts, définitifs semble-t-il. Leur "tableau" (liste des membres) est établi par le graveur Cardon, fondateur de L'Espérance de Bruxelles, et imprimé à Nivelles par Plon, un Nivellois qui essaimera plus tard pour devenir, de père en fils, les importantes éditions Plon de Paris.

 

Le dernier document connu de la Loge nivelloise date de 1813. C'est la transmission, au Grand Orient, d'une lettre faisant allusion aux revers subis par les troupes de Napoléon. C'est en 1819 que le prince Frédéric de Hollande, Grand Maître pour les Pays-bas, vient à Nivelles inaugurer le nouveau temple de notre Loge. Nous sommes devenus Hollandais après Waterloo, ne l'oublions pas !

 

L'atelier nivellois ne compte plus que 15 membres en 1813 et son existence prit fin vers 1825. Entre-temps, Marchot était devenu Vénérable à la Loge de Namur. Les Amis Discrets se reconstituèrent après 1830, à la faveur des encouragements de Léopold Ier. Mais elle disparut à nouveau, pour encore une fois renaître plus tard, avec des fortunes diverses.